1 décembre 2016

Le Lean, résoudre le paradoxe de l'efficience

Résoudre le paradoxe de l'efficience

Monique suspecte chez elle une maladie. Elle souhaite en avoir le cœur net et veut être diagnostiquée.
Elle va successivement prendre rendez-vous de généralistes en spécialistes pour cerner l'origine de sa maladie. Entre les recherches de rendez-vous, les temps d'attente intermédiaires, les successions de rendez-vous auprès d'experts médicaux, son inquiétude va s'accentuer. Il lui aura fallu 17 jours pour identifier ce qu'elle a.
Pascale, elle aussi, est angoissée et une amie lui conseille un service dont elle a entendu parlé: le diagnostic en 1 jour. Elle prend rendez-vous dans la clinique qui propose ce service et une fois le rendez-vous pris, elle obtient le résultat attendu. La clinique a mis en place un dispositif intégrant toutes les spécialisations médicales au sein d'un même lieu et tous les rendez-vous sont menés consécutivement.
Monique et Pascale ont bien le mème besoin. La différence porte sur le traitement de ce besoin.

Dans le premier cas, l'efficience des ressources est mis en avant au détriment de l'efficience du flux lui-même. Dans le second cas l'efficience du flux prime.
C'est le paradoxe que les entreprises doivent prendre en considération. Quelle est la stratégie d'entreprise ? Privilégier l'efficience des ressources ou l'efficience des flux au service des clients ?
Sachant que les entreprises recherche la rentabilité, elles s'organisent généralement pour mutualiser et optimiser leurs ressources, les massifier en créant des silos ultra-optimisés localement mais, force est de constater, parfois absolument inefficient globalement vis-a-vis du client final.
Alors, pourquoi les entreprises pensent à optimiser leurs ressources alors qu'en fait elles créent des gaspillages qui peuvent les rendre non productive finalement ?

"Le Lean en clair" apporte un éclairage sur la question en abordant le thème de l'efficience du flux, focalisant les actions à valeur ajoutée pendant le temps écoulé entre la besoin exprimé et sa satisfaction réalisée.

L'efficience

La recherche de l'efficience des ressources est le plus courant. Dans l'exemple ci-dessus le processus de diagnostic de Monique s'est déroulé au sein d'une système de santé privilégiant l'utilisation des ressources de manière la plus efficiente.
Dans le second cas de Pascale, le diagnostic est focalisé sur le traitement optimal de l'unité traitée par l'organisation, c'est-a-dire Pascale.
On voit clairement ici que l'unité principale traversant les deux processus est le patient à diagnostiquer. Cette unité "patient" constitue un élément fondamental dans la compréhension d'un flux.
Rappelons que l'efficience se définit comme le rapport entre la somme des temps à valeur ajoutée sur le temps total entre le début d'un flux jusqu'à sa fin:
  • Si l'on considère l'efficience des ressources, il s'agit d'utiliser les ressources (humaines, matérielles, ...) à leur maximum.
  • Si l'on considère l'efficience du flux, il s'agit de maximiser la valeur ajoutée apportée au client tout au long de la durée du flux.
Dans l'exemple de Monique et Pascale, voici comment se calcul l'efficience du flux:
Nous considérons que le processus démarre lors du début du premier rendez-vous et se termine lors de la communication du diagnostic.
Le processus de Monique aura durée 17 jours, soit 408h. Le temps à valeur ajoutée est de 2h. L'efficience du processus de Monique est donc de 0,5%.
Le processus de Pascale aura duré 120min pour une durée à valeur ajoutée de 80min. L'efficience du processus de Pascale est de 67%.

Alors quel enseignement en tirer ?
Faut-il choisir l'efficience des ressources ou bien l'efficience des flux ?
Les organisations ont tendance à se spécialiser en fonction de leurs ressources. Il paraît évident d'utiliser les ressources de manière efficiente. Mais il est tout aussi important de satisfaire les besoins clients de manière efficiente.
La clé est donc de rechercher l'efficience des deux en toute connaissance pour obtenir d'excellents résultats.

Les processus

Les exemples donnés de Monique et Pascale ont introduit la notion de processus, il est donc nécessaire de comprendre comment fonctionne un processus.
Voici comment se représenteraient les diagrammes de flux de Monique et Pascale:
Toutes les organisations sont composées de processus: processus d'achat, de développement, de fabrication, de commercialisation, d'après-vente, etc.
Pour comprendre un flux, il faut se placer du point de vue de l'unité traitée par le flux, en imaginant une caméra fictive sur l'épaule de Monique ou Pascale qui filmerait le déroulement du flux.
Le schéma ci-dessus montre les transferts de valeur à l'unité de flux, par la valorisation des activités à valeur ajoutée.

On comprend facilement qu'il faut aussi définir le périmètre pris en compte par le flux et fixer un début et une fin, avec des critères parfaitement identifiés de déclenchement du flux (début) et de sortie.
Ces deux limites permettent ainsi de définir le temps d'écoulement du flux.

Une unité de flux peut être de différente nature:
  • Matérielle
  • Informationnelle
  • Humaine
Il est important de définir un processus en se positionnant du point de vue de l'unité de flux, c'est à dire placer la caméra sur l'épaule du patient dans notre exemple. Les organisations ont parfois tendance à définir les flux de leur propre point de vue et de leurs propres fonctions, c'est a dire placer la caméra sur l'épaule du médecin.
L'efficience du flux se définit comme le rapport entre la somme des temps des activités à valeur ajoutée sur le temps d'écoulement total, qui correspond à une densité de transfert de valeur.

Les processus suivent 3 lois fondamentales qui empêchent une efficience du flux élevé:
  • La loi de Little
  • La loi des goulots d'étranglement 
  • La loi de l'effet de la variation sur le processus

Loi de Little

Cette loi met en relation le temps d'écoulement, le stock (unités dans le flux ou encours) et le temps de cycle
  • LT (LeadTime): temps moyen passé dans le flux, c'est le temps d'écoulement d'une unité dans le flux
  • WIP (Work In Progress): encours dans le flux, c'est le nombre d'unités entre les bornes du flux (entrée et sortie)
  • T (Throughput): débit, en nombre d'unités sur une période de temps (ex nb personnes par heure)
  • CT (Cycle Time): temps de cycle = 1/T (ex temps passé pour traiter 1 personne)
La loi se matérialise par les équations :
Formule 1: LT = WIP x CT
Ou
Formule 2: WIP = T x LT


La formule 1 montre que la durée d'écoulement augmente quand le stock interne augmente à temps de cycle constant.
Un temps de cycle plus long entraîne un temps d'écoulement plus long. Le temps de cycle s'allonge lorsque le système atteint son capacitaire maximal.
La formule 2 montre que pour réduire le temps d'écoulement, il faut réduire le stock encours et augmenter le débit. Hors le système aura une activité interne qui aura à un moment un goulot d'étranglement qui limitera le débit.

Voici le paradoxe d'efficience des ressources: pour garantir une efficience des ressources élevée, il est nécessaire de maximiser leur utilisation (à 100%). Pour cela le travail ne doit pas s'arrêter. Il faut donc disposer d'une réserve d'unités pour ne pas prendre le risque de ralentir ou d'attendre. Il est préférable que ce soit les unités de flux qui attendent la disponibilité des ressources et non l'inverse. Le paradoxe est donc qu'en prévoyant une réserve suffisante dans le flux le temps d'écoulement est allongé.
L'exemple de Monique montre que les files d'attentes des spécialistes médicaux leur permettent un travail garanti a plein régime, mais que le temps de diagnostic de Monique s'est allongé.

L'enseignement consiste à connaitre les limites en terme de débit et de réduire les encours de stock.

La loi des goulots d'étranglement

Cette loi dit que le temps d'écoulement est influencé par l'activité du processus ayant le temps de cycle le plus long.
Les goulots d'étranglement ont deux caractéristiques:
  • Chaque goulot d'étranglement est précédé d'une file d'attente
  • Les étapes après le goulot d'étranglement devant être sollicitées ne sont pas utilisées à leur maximum de leur capacité, étapes qui se dérouleront à un rythme inférieur à leur capacité
Les goulots d'étranglement provoquent des retards, des temps sans valeur ajoutée qui allongent le temps d'écoulement.
Pour viser l'efficience des flux, il faut éliminer les goulots d'étranglement.

Ils apparaissent pour deux raisons:
  • Les étapes d'un processus doivent suivre un ordre précis
  • La seconde cause est due aux variations

La loi de l'effet de la variation sur les processus

La variation se définit sur 3 facteurs clés:
  • Les ressources: elles peuvent tomber en panne, avoir des dysfonctionnements et ralentir, être plus lentes ou plus rapides que d'autres ressources identiques
  • Les unités de flux: elles ne sont pas toutes identiques, peuvent avoir leurs propres spécificités
  • Les facteurs externes: les unités de flux peuvent arrivée de manière irrégulière dans le processus
A l'intérieur du processus lui-même, la variation d'une étape peut entraîner la variation du temps d'arrivée de cette étape.
D'après la formule de Kingman, plus la variation du processus est importante, plus le temps d'écoulement est long.

Les lois des processus et l'efficience des flux

Les lois évoquées ci-dessus montrent ce qui empêche les organisations à avoir une efficience des flux élevée:
  • Selon la loi de Little, le temps d'écoulement augmente quand le nombre d'unités augmente et le temps de cycle s'allonge
  • Selon la loi des goulots d'étranglement, le temps d'écoulement augmente en présence de goulots d'étranglement dans le processus
  • Selon la loi de l'effet de variation, le temps d'écoulement augmente quand la variation dans un processus augmente et que l'utilisation des ressources atteint leur maximum
Ces lois montrent qu'il est difficile d'associer l'efficience des ressources élevé à une efficience du flux élevé.

Voici les 4 mesures qui peuvent améliorer l'efficience du flux:
  • Réduire le nombre d'unités engagées dans le flux
  • Travailler plus vite pour réduire le temps de cycle
  • Ajouter des ressources pour augmenter la capacité et réduire le temps de cycle, éliminer, réduire et gérer les variations dans le processus

Le paradoxe de l'efficience

La focalisation accrue sur l'utilisation efficiente des ressources tend à augmenter la charge de travail à réaliser.

Les longs temps d'écoulement

Les entreprises ayant une efficience de ressources élevée subissent des effets négatifs du point de vue du client, mais aussi de l'entreprise et du personnel, dont le 3 causes principales sont:
  • Capacité à supporter de longs temps d'attente, provoquant de l'insatisfaction, de la frustration ou du stress. L'insatisfaction de besoins primaires génère de nouveaux besoins secondaires liés à l'attente
  • Le temps d'attente ou le retard ferme des fenêtres d'opportunité
  • Un long temps d'écoulement génère des besoins secondaires et notre incapacité à gérer de longs temps d'écoulement est à l'origine de nombreux problèmes qui mènent à l'ennui, l'inquiétude, la frustration, la démotivation ou le découragement. Ce qui provoque une perte d'intérêt progressive
La 2ème cause d'inefficience est la multiplication des unités engagées dans le flux
Cela de rapporte à la capacité des personne à gérer simultanément plusieurs tâches en parallèle.
Plus nous attendons de traiter des emails et plus il y aura d'emails à traiter le jour où ils devront être lus.
Ceci implique qu'avoir un stock nécessite un dispositif supplémentaire pour le gérer.

Ensuite les stocks intermédiaires entraînent des coûts supplémentaires car nécessitent de la surface, des énergies comme le chauffage, mais aussi des moyens pour leur sécurité.

Par ailleurs, les stocks empêchent la vue d'ensemble et peuvent masquer les problèmes. Ils nécessitent des dispositifs spécifiques de tris, classement mais aussi demandent des moyens de recherches efficaces.

Toutes ces tâches secondaires dûes aux stocks sont généralement des tâches à faire en parallèle qui demandent à leur tour d'autres besoins secondaires dûes aux limites humaines. De plus quand le travail s'accumule, chacun perd la vue d'ensemble et parfois l'objectif principal engendrant de la dispersion, des erreurs, voire au pire aller à contre-sens.

Nous ne sommes pas équipés, humainement parlant, pour traiter plusieurs choses à la fois, seulement entre 5 et 9.

La 3ème cause d'inefficience est lié à la capacité aux personnes de multiplier les tâches et donc de redémarrer chacune d'entre-elles. C'est ce que l'on appelle le redémarrage de l'unité de flux.
Recommencer une tache nécessite une préparation mentale.
Le passage successif de tâches à d'autres imposent une concentration sur la nouvelle tâche à réaliser.
Le passage de tâche à une autre personne, un relai, nécessite aussi un redémarrage.
Hors le transfert peut induire également des défauts.

Le paradoxe de l'efficience s'explique par le travail superflu.

Une recherche d'efficience des ressources diminue l’efficience des flux. En fait nous pensons utiliser nos ressources de manière efficiente mais sommes nous efficients ?
Il se pourrait qu'une partie de notre travail ne soit en fait que du gaspillage.

Comment résoudre le problème de l'efficience ?

Pour résoudre le problème des gaspillage d'efficience des ressources, il faut se focaliser sur l'efficience des flux et éliminer les besoins secondaires.
Tout ce qui contribue à réduire le temps d'écoulement. La quantité d'unité dans le flux, le nombre de redémarrage, élimine le travail inutile. Paradoxalement, ne pas se focaliser sur l'utilisation des ressources contribue à libérer les ressources.

Une organisation orientée sur l'efficience des flux rappelle une courses de relais, avec des passages de relais rapides et efficaces, et où tous les coéquipiers comprennent le processus complet et assume collectivement les responsabilités et le résultat.
Dans une organisation axée sur l’efficience des ressources, le premier coureur porte plusieurs bâtons et au bout des 100m, personne n'est là pour assurer la suite.
On envoi quelqu'un retrouver le 2ème coureur, et après plusieurs recherches faites par plusieurs personnes, on le remplace après un temps certain. Au final, des bâtons ont été perdus et d'autres oubliés. C'est malheureusement comme cela que fonctionne certaines organisations.


Pour résoudre le paradoxe de l'efficience, il s'agit d'adopter une stratégie opérationnelle Lean qui permet de se focaliser sur les flux, prendre de la hauteur pour éviter de compartimenter et plutôt s'aligner sur les besoins et la satisfaction des clients. Une stratégie Lean permet de réduire les gaspillages mais reste un concept mal compris.


Revue de l'ouvrage "Le Lean en clair" de Niklas Modig et Pär Ahlström

8 septembre 2016

Le product owner dans un projet Agile

Voici une vidéo très pédagogique présentant le rôle du product owner dans un projet Agile:

Responsable Qualité, kesako ?

Voici ma vision du rôle du responsable qualité de manière schématique en 10 points clés:



  1. Représenter le client
  2. Guider les opérationnels vers l’excellence pour améliorer l’efficacité, l’efficience
  3. Etre factuel (mesurer, collecter)
  4. Accumuler l’expérience, les observations, les données
  5. Voir et traiter les problèmes pour mettre en place des plans d’actions
  6. Standardiser pour stabiliser
  7. Mettre en place des repères pour construire une organisation performante
  8. Laisser l’individuel s’exprimer pour jouer collectif
  9. Maîtriser les risques de dysfonctionnement, de non valeur ajoutée (tout en laissant l’agilité des personnes)
  10. Faire que tout soit carré pour que ça tourne rond